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Ôlyrix

Damien Dutilleul

Michael Fabiano : “Je chanterai souvent à Paris ces prochaines années”

Ôlyrix

C’est avec son épaisse partition des Contes d’Hoffmann, dont il prendra le rôle à Bastille en janvier, que le ténor américain Michael Fabiano, à l’affiche de Don Carlo dans la même salle cette semaine, se présente pour cet échange. Sûr de lui, il évoque sans ambages ses projets, ses ambitions entrepreneuriales et politiques, tout en lançant une pique à Claus Guth :

Michael Fabiano, vous vous apprêtez à chanter le rôle-titre de Don Carlo à l’Opéra de Paris. Que vous rappelle votre prise de rôle, en 2016 à San Francisco ?

C’était une période de transition, un moment pivot. Je venais de chanter le Duc de Mantoue dans Rigoletto à Bastille, dirigé par Nicola Luisotti. Et c’est lui qui conduisait également Don Carlo, qui venait juste après. Il s’agissait donc de deux Verdi dirigés par le même chef. Pourtant, le Duc a toujours été un rôle difficile à chanter pour moi. Je ne l’ai jamais aimé et il ne m’a jamais apporté de réel succès, mais on ne cessait de me répéter qu’il était très important que je le chante, que c’était un passage obligé pour tous les bons ténors. À l’inverse, Don Carlo est un rôle plus lourd, plus compliqué techniquement, mais qu’il m’est plus facile de chanter. J’y ai obtenu un triomphe car je me sentais bien dans ce rôle. J’ai réalisé à l’occasion de cette prise de rôle que je pouvais chanter ce qui me convient et non ce qu’on me conseillait de chanter. Voilà ce que m’évoque cette prise de rôle.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez annoncé en juin dernier que vous chantiez votre dernier Duc ?

Exactement. J’ai chanté le rôle pour la dernière fois à Berlin la saison dernière. D’autres ténors le chantent mieux que moi et je n’ai aucun plaisir à le chanter. Je déteste profondément le personnage : je ne suis pas accro au sexe et je ne me drogue pas, comme on me l’a fait jouer à Bastille [dans la mise en scène de Claus Guth, ndlr]. C’est le seul rôle que j’ai décidé de ne plus chanter.

Vous chanterez cette fois Don Carlo dans la production de Krzysztof Warlikowski : que pensez-vous de sa mise en scène ?

Incroyable, exaltante, fabuleuse. Enfin, un metteur en scène a la même vision de Don Carlo que moi : un homme mentalement instable, qui souffre d’une sorte d’autisme ou de bipolarité. Schiller le décrit comme difforme, ce qui crée d’ailleurs souvent des troubles mentaux associés. Ayant enfin la liberté de le jouer ainsi, je vais aller loin dans cette direction. D’autres ténors construisent un personnage héroïque. Je le vois à l’opposée d’un héros. Il n’obtient jamais ce qu’il espère : ni l’amour, ni l’affection de son père, ni le pouvoir. Cela le rend malade. Il le dit d’ailleurs lui-même : « Insan ! piansi, pregai nel mio delirio » [Insensé ! J’ai pleuré, j’ai prié dans mon délire, ndlr]. J’ai une immense admiration pour les autres ténors qui ont chanté dans cette production avant moi, mais  je vais en proposer une interprétation très différente.

Krzysztof Warlikowski vous laisse donc une grande liberté pour construire votre vision du personnage ?

Non, la vision de Krzysztof Warlikowski est très proche de la mienne. Je n’aime pas regarder les captations des mises en scène dans lesquelles je vais jouer : cela m’aide à me les approprier. Quand j’ai répondu à Krzysztof Warlikowski que je n’avais pas vu le DVD de la production, il m’a demandé qui était Don Carlo pour moi. Je lui ai répondu : « Pour moi, c’est un prêtre suicidaire, sur le point de se donner la mort, et qui revoit tout l’opéra dans une sorte de rêve ». Il a rigolé et m’a dit que c’était exactement sa production [de fait, le costume de Don Carlo a changé depuis la création de la production en 2017, pour devenir celui d’un prêtre, ndlr].

Vous étiez engagé ces derniers jours sur la production de Manon au Met. Comment se sont passées les répétitions ?

J’ai fait quatre représentations de Manon, puis j’ai été à Chicago pour lever de l’argent pour ma fondation. Ensuite, j’avais un gala à l’Opéra de Detroit, qui est très important pour moi car j’ai étudié à l’Université du Michigan. J’ai enchaîné avec quatre jours de répétitions intenses à Paris (nous avons travaillé l’intégralité de l’ouvrage), avant de retourner chanter Manon à New York. C’était fou ! De retour à Paris, j’ai pu discuter avec Krzysztof Warlikowski de quelques points précis, sur lesquels je prends à présent le temps de travailler en profondeur.

C’est la cinquième fois que vous venez chanter à Paris (voir sa lyricographie) : quel est votre souvenir le plus mémorable ?

Probablement d’avoir réalisé avec quel immense talent Renée Fleming chantait Otello [il chantait Cassio à ses côtés pour ses débuts en France, ndlr]. J’ai reçu une grande leçon sur la projection de la voix. À la fin de l’acte III, je chantais juste à côté de Renée et je trouvais sa voix affreuse. Puis, j’ai rejoint mon coach dans la salle pour écouter le dernier acte : il était en pleurs, tant il était ému par la voix de Renée Fleming. J’ai été étonné, mais en effet, depuis la salle, sa voix était absolument magnifique. La plus belle voix de soprano que j’ai entendue. J’ai réalisé qu’il n’était pas pertinent de s’intéresser au son de près : notre but, en tant que chanteurs d’opéra, est de produire un beau son pour la salle. Sa manière de produire le son s’épanouit dans l’espace. Ça a été pour moi une vraie prise de conscience.

L’un des moments les plus mémorables pour le public parisien a été votre duo avec Sonya Yoncheva dans Lucia di Lammermoor en 2013 : qu’en retenez-vous ?

Avec la Carmen d’Aix-en-Provence, cette production a en effet été l’un des moments importants de ma carrière en France. Parfois, mon énergie me fait paraître un peu fou face à des chanteurs plus calmes. L’énergie de Sonya Yoncheva m’a rendu meilleur car elle justifiait ma propre énergie. Son énergie m’apporte une certaine liberté qui me permet de mieux chanter. Cela se vérifie chaque fois que je travaille avec Sonya : je chante mieux à ses côtés.

Venons-en donc à la Carmen d’Aix : pourquoi cette production a-t-elle été importante pour vous ?

C’est la première fois que je travaillais avec un metteur en scène qui me faisait sentir à ce point libre, ce qui est paradoxal car Tcherniakov a une direction d’acteurs très précise. C’est justement ce cadre, cette précision qui permet de se sentir libre dans le chant. Lorsqu’un metteur en scène dit simplement : « va là-bas et prends de la drogue », c’est étouffant et difficile car le travail de créativité, qui doit être apporté par le metteur en scène, repose alors sur moi. Dans cette Carmen, je n’avais qu’à penser à devenir cet homme d’abord sans émotion, sur le point de divorcer, mais qui devenait de plus en plus fou au fil de la nuit. C’était exaltant.

Aimez-vous chanter dans de telles mises en scène modernes et réinventant l’œuvre ?

Oui, à la condition que l’évolution originale du personnage reste intacte. Je rejette les réinterprétations modernes de Verdi ou Puccini qui n’ont aucun sens. Si la direction que prend le personnage reste dans les frontières fixées par le livret, cela ne m’embête pas que l’histoire soit transposée dans dix millions d’années.

Vous aimez les personnages nobles, « qui utilisent leur épée pour défendre la société » (voir la vidéo ci-dessous). À l’inverse, vous rejetez le Duc de Rigoletto du fait de ce qu’il représente : pourquoi ne rejetez-vous pas Don José ?

Je dois dire que je ne me suis jamais posé la question ainsi. D’abord, de manière générale, les personnages du répertoire français ne sont pas des gens d’épée, Roméo mis à part. La différence de style requiert une réflexion différente. Par ailleurs, Don José se bat malgré tout pour l’amour de Carmen, bien qu’il soit rejeté. Ma ligne s’applique donc à un degré différent.

Vous ne voyagerez pas loin après Don Carlo puisque vous effectuerez votre prise de rôle d’Hoffmann, de nouveau à Bastille. Comment organisez-vous votre travail pour préparer un tel rôle ?

D’abord, le français n’est pas ma langue maternelle. Je travaille donc d’abord intensément la prononciation pour m’assurer que la diction soit aussi claire que possible. Je considère comme mon devoir de respecter la langue. Mon coach vocal est français, ainsi que mon assistant qui vit avec moi 100 jours par an. Ils sont très pointilleux, même s’ils ont chacun leur manière de prononcer certains mots. Ensuite, je travaille la syntaxe : je n’ai pas besoin de beaucoup traduire car je lis bien le français. Mais j’ai besoin de comprendre où sont les accentuations, d’autant qu’elles ne correspondent pas toujours à celles de la musique. Enfin, j’apprends la musique et je m’occupe de faire correspondre une excellente diction avec les exigences vocales : parfois, il faut changer le son d’une voyelle pour qu’elle sonne mieux, dans l’aigu par exemple. Je dois trouver les bons ajustements.

Ce rôle s’ajoute à un répertoire français déjà fourni : quels seront vos prochains rôles français ?

J’aime beaucoup Massenet : ce sera probablement Le Cid ou Thésée pour Ariane, qui pourraient arriver après la saison prochaine. J’espère chanter plus souvent Werther : c’est un rôle de rêve !

Vous avez sorti votre premier album en fin de saison dernière. Quel en était l’objectif ?

Au départ, je voulais explorer les œuvres de Donizetti et Verdi par la période durant laquelle ils étaient tous les deux en activité, soit entre 1838 et 1848. Il y a 15 opéras de Verdi et 10 de Donizetti composés durant cette période. Mais tous ne m’intéressaient pas, ce qui m’a obligé à prendre des airs sortant de cette période, comme l’extrait de Lucia di Lammermoor. Cela m’intéressait de montrer qui sont ces deux compositeurs, leurs points communs, leurs similarités, leur filiation.

Vous n’avez du coup pas intégré Puccini ni le répertoire français, qui sont importants dans votre carrière : cela donnera-t-il lieu à d’autres enregistrements ?

Trois autres enregistrements sont prévus, qui couvriront cela. L’un d’eux sera dédié à un compositeur français que j’aime particulièrement et dont le nom commence par un M

Quelle évolution de votre répertoire prévoyez-vous pour les années qui viennent ?

Je ne chanterai pas beaucoup de Puccini : Cavaradossi dans Tosca est le seul rôle que je chanterai. J’ai attendu ce rôle patiemment : il va enfin venir. Il y aura donc principalement du Verdi et du répertoire français, sachant que les saisons sont construites par périodes car je préfère ne pas mélanger les répertoires. Il y aura donc par exemple, une Traviata au milieu de trois Bal masqué, puis deux Massenet l’un après l’autre.

Vous avez affirmé votre ambition de chanter la quasi-totalité du répertoire verdien : en quoi les prochaines saisons vous feront-elles avancer sur cette route ?

Déjà, j’en ferai deux ou trois en version concert afin d’accélérer la tâche. Dans les années qui viennent, sont déjà prévus de nombreux Bal masqué, mais aussi ErnaniLa Bataille de Legnano et Les Brigands. En revanche, je ne chanterai pas Un jour de règne ni Alzira qui ne m’intéressent pas, ni les Vêpres siciliennes qui ne sont pas pour moi. Je ne chanterai pas non plus Radamès dans Aida ni Fenton dans Falstaff. J’écarte donc cinq opus. J’aimerais chanter dans Simon Boccanegra, mais on ne me l’a pas proposé pour l’instant : si cela ne vient pas rapidement, je ne le chanterai sans doute pas. De même, La Force du destin et Otello sont des rôles que je n’irai pas demander, mais que j’aimerais chanter si on me les propose.

Y a-t-il d’autres rôles non planifiés à ce stade que vous aimeriez chanter ?

Mes quatre prochaines années sont déjà prêtes, et ressembleront à mon répertoire actuel, avec de nombreux Bal masqué et Contes d’Hoffmann en plus. Il y aura aussi beaucoup de Manon. Ensuite, j’aimerais chanter La Dame de Pique et Peter Grimes, même si ça semble un peu fou. J’aimerais aussi rechanter Luisa Miller qui n’est malheureusement pas assez chanté pour un si bel opéra.

Quelles sont les maisons dans lesquelles vous chanterez ces prochaines saisons ?

Mon principal début concernera l’Opéra d’Etat de Vienne, où je chanterai plusieurs fois dans les années qui viennent. Ensuite, je vais principalement chanter dans mes maisons de cœur : New York, Paris, Madrid, Londres et San Francisco. Je chanterai souvent à Paris !

Vous avez pourtant été rare ces dernières années : pourquoi ?

J’ai été très occupé. Par ailleurs, en tant qu’Américain, il est assez difficile de s’imposer en Europe, cela s’est donc fait progressivement. Mais je chanterai à 80% en Europe dans les années qui viennent.

Votre Manon de New York était diffusée en direct dans les cinémas du monde entier. Aujourd’hui, quasiment toutes les productions sont captées : qu’est-ce que cela change pour vous ?

Rien du tout. Ou plutôt, c’est instructif sur la manière dont on devrait toujours être sur scène. Avant la captation de Manon en direct, on m’a donné la vidéo des répétitions. Je me suis trouvé ennuyeux et trop concentré sur mon chant, alors même que je pensais être très engagé scéniquement sur le moment. J’ai donc passé les jours suivants à réfléchir à ce que je pouvais faire mieux. J’ai vu depuis le direct : c’était en effet beaucoup plus vivant. Je demande toujours la vidéo des répétitions, mais souvent, ils ne peuvent pas me la donner, ce qui me contrarie. Mon objectif est d’allier le beau chant à un jeu théâtral de qualité.

Vous avez fondé une organisation, ArtSmart, que vous dirigez en parallèle de votre carrière de chanteur : de quoi s’agit-il ?

C’est une organisation qui propose gratuitement des leçons particulières de chant, sur un rythme hebdomadaire, à des enfants défavorisés. Nous allons dans les écoles dans lesquelles il y a des violences par arme à feu et de la pauvreté extrême, ou de nombreux enfants n’ont pas leurs parents, et nous offrons des leçons de musique durant toute l’année scolaire, pendant les heures d’école : nous en dispenserons 30.000 cette année. Nous avons prouvé par une étude qu’il y a une relation de cause à effet directe entre l’instruction musicale et la réussite académique. Les enfants qui étudient la musique sont plus impliqués à l’école, ce qui leur permet d’aller à l’université, d’obtenir un bon travail. 80 personnes travaillent aujourd’hui pour cette organisation, dont 50 enseignants, grâce à des fonds privés : je passe mon temps à demander de l’argent pour cette cause. D’autres fondations abondent également, et j’espère que nous recevrons cette année des fonds d’entreprises également.

Quelles seront les prochaines évolutions de cette organisation ?

D’abord, il nous est difficile de faire bénéficier un grand nombre d’enfants avec des leçons particulières. Nous allons donc créer un nouveau format avec quatre enfants pour un enseignant, durant 1h30 par semaine. J’ai par ailleurs rédigé un livre blanc d’une centaine de page, qui inclut des exercices vocaux, de l’histoire de la musique, de la théorie : les écoles dans lesquelles nous n’intervenons pas vont pouvoir l’utiliser comme outil, en échange d’une dotation pour l’organisation. Cela m’a demandé un travail titanesque. L’autre grand axe de développement concerne le théâtre : nous travaillons à l’élaboration d’un programme d’enseignement de la comédie. Cela aidera les enfants dans leurs capacités d’expression orale.

Qui sont les enseignants de cette organisation ?

Nous recrutons des personnes issues des meilleures formations, souvent des étudiants très talentueux qui disposent d’un master ou d’un doctorat. Nous avons d’admirables chanteurs lyriques, mais aussi des chanteurs de jazz et de pop.

Quels résultats percevez-vous ?

Il y a trois semaines, j’ai fait passer une audition à une centaine d’enfants d’une école du Bronx. S’est présenté un garçon nommé Jamal, 14 ans, qui disait être passionné d’opéra et apprécier tout particulièrement Franco Corelli, ce qui est assez inhabituel dans ce milieu et à cet âge. Il a proposé de chanter Recondita Armonia de Tosca. Sa voix était extraordinaire. Plus belle que n’importe quel étudiant de Juilliard. Un instrument incroyable. Nous avons réalisé qu’il y avait probablement des milliers de Jamal qui n’avaient pas l’opportunité d’exprimer leur talent. J’ai compris que c’était ma vocation d’accompagner ces jeunes.

Envisagez-vous d’étendre votre activité à d’autres pays ?

J’aimerais beaucoup, mais il faudrait que la communauté, l’État la plupart du temps, participe au financement de cette activité. L’organisation croît déjà rapidement. J’y passe 40 à 50 heures par semaine : c’est devenu une partie importante de mon travail, même si c’est par l’opéra que je gagne ma vie. J’ai beaucoup de joie à guider cette organisation.

Est-ce un rôle dans lequel vous vous épanouissez ?

Je crois que le monde est en transition : il y a besoin d’un renouvellement en termes de leadership. Il viendra un moment où je me concentrerai sur ce rôle. Et je n’attendrai pas d’être âgé. Je vais continuer de chanter quelques années, les quatre prochaines sont d’ailleurs déjà planifiées, mais je ne chanterai pas 20 ans de plus. Tout ce que je fais est au service des autres : plus tard, je servirai mon pays d’une manière ou d’une autre.

Il viendra un moment où je me concentrerai sur un rôle de leadership. Je n'attendrai pas d'être âgé

Michael Fabiano

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